Sommes nous face à une épidémie de maladies mentales ou à un business pharmacologique?
La dépression est la maladie psychique la plus courante. Elle touche près de 3 millions de personnes en France et les femmes sont 2 fois plus atteintes que les hommes. La consommation d’antidépresseurs en France est une des plus importantes au monde. Aux USA, dans un rapport du CDC d’Atlanta publié à la fin d’octobre 2011, il est indiqué que durant les 20 dernières années on a enregistré une augmentation de 400% de la consommation des antidépresseurs (1).
Il semble que le monde occidental est victime d’une épidémie de maladies mentales.
En effet aux USA entre 1987 et 2007, le diagnostic de maladie mentale a augmenté de 2,5 fois, de façon plus spectaculaire de 35 fois pour les enfants. Aujourd’hui plus de 500 000 enfants sont sous antipsychotiques et 10% des enfants de 10 ans prennent des médicaments pour traiter un syndrome d’hyperactivité.
Marcia Angell, ancienne directrice du New England Journal of Medecine attribue l’augmentation des diagnostics et des prescriptions de médicaments psychotropes à l’influence de l’industrie pharmaceutique sur les médecins et à leur capacité de proposer un modèle scientifique cohérent sur la capacité de leurs médicaments à agir sur le cerveau (2).
De son côté Allen Frances dénonce l’agressivité des boites pharmaceutiques poussant les médecins généralistes à prescrire des antidépresseurs sans diagnostic précis et à leur faire croire que la dépression se réduit à un simple déséquilibre de molécules chimiques du cerveau que les médicaments sont capables de corriger (3).
La construction industrielle d’un modèle thérapeutique
Comment ce modèle thérapeutique centré uniquement sur les antidépresseurs a pu se développer de façon abusive d’autant plus que l’efficacité des antidépresseurs est remise en question ces dernières années.
Comme le souligne, Léon Eisenberg psychiatre américain, jusqu’à la fin des années septante, 64% des visites des psychiatres se basaient sur la psychothérapie, en 2002 ce pourcentage est réduit à moins de 10% au profit d’une approche purement médicamenteuse(4).
Le grand tournant date de la fin des années septante, on assiste à la marche triomphale du modèle biologique s’attaquant au modèle freudien qui dominait la psychiatrie de l’époque d’autant plus que durant les années 80 les firmes pharmaceutiques mettent sur le marché de nombreux antidépresseurs sélectifs, les plus connus étant les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (SSRI).
Parallèlement en 1980, sous l’égide de l’association américaine des psychiatres, on publie la 3ème édition du manuel diagnostic et statistique des maladies mentales (DSM III). Ce livre représente une rupture avec la tradition psycho dynamique des deux premières éditions et permet une complète adhésion au modèle biologique développé par l’industrie pharmaceutique.
Le diagnostic devient une liste de symptômes avec un seuil numérique (par exemple pour la dépression, il faut au moins 5 symptômes sur 9 pour poser le diagnostic). La survenue de cette nouvelle classification permet de mettre les patients dans des catégories déterminées, ces catégories correspondant à l’utilisation de médicaments psychotropes. Dès lors plus on crée des diagnostics psychiatriques et plus on a de chance de mettre un patient sous traitement médicamenteux.
Ainsi le DSM III va produire plus de 265 diagnostics qui deviennent 365 dans l’édition du DSM IV de 2000. La porte est ouverte à l’explosion du nombre de malades psychiatriques et à l’utilisation de plus en plus fréquente de médicaments.
C’est ainsi que nous sommes arrivés à presque tripler le nombre de malades mentaux en 20 ans et augmenter de 400% la consommation d’antidépresseurs.
On peut suspecter des motivations financières si l’on observe que la plus part des auteurs ayant contribués à la création de ces diagnostics sont des psychiatres souvent en relation étroites avec des groupes pharmaceutiques (5).
Un seul fait pour comprendre la gravité de la situation : les antipsychotiques aux USA ont remplacé les statines (médicament contre le cholestérol) dans la liste des médicaments les plus vendus dans l’absolu. Ces médicaments sont prescrits même à des enfants à partir de deux ans.
Non seulement, beaucoup de médicaments psychotropes telles que les antidépresseurs sont prescrits de façon abusive mais le plus dramatique est que leur efficacité est de plus en plus remise en question.
L’efficacité des antidépresseurs remis en question et critique d’un certain modèle scientifique
Depuis plus de 30 ans, les médicaments antidépresseurs représentent la prise en charge principale de la dépression. Pourtant, plusieurs publications médicales récentes ont contesté l’efficacité de ces médicaments. En effet, la moitié des essais cliniques n’ont pas été capables de montrer un effet supérieur des médicaments antidépresseurs par rapport au placebo (6, 7).
Ces résultats ont ébranlé les certitudes de nombreux médecins et particulièrement les psychiatres. On peut même affirmer sur la base des connaissances scientifiques actuelles que l’ère des antidépresseurs comme unique approche de la dépression est révolue.
Sur le plan scientifique depuis plusieurs années, il existe une remise en question de l’hypothèse du rôle des neurotransmetteurs dans la dépression. Selon cette hypothèse, la dépression serait due à une carence d’un ou plusieurs neurotransmetteurs en particulier la sérotonine ou la noradrénaline (8).
Dés ce moment, la dépression est devenue une maladie du cerveau exactement comme le diabète serait une maladie du pancréas. Toutefois bien que cette théorie a été acceptée de façon unanime par le corps médical, elle n’a jamais clairement été démontrée scientifiquement et cette hypothèse ces dernières années est en déclin à la vue des résultats des études scientifiques.
Plus récemment on a essayé de trouver des bases génétiques à la dépression, malheureusement le gène ou les gènes de la dépression n’ont jamais été trouvés bien que l’on reconnaisse actuellement une vulnérabilité génétique (9).
La dépression est liée à notre capacité à gérer nos stress
Le cortisol est l’hormone principale du stress, celle-ci déclenche la libération du glutamate dans certaines parties du cerveau (hippocampe, amygdale, cortex préfrontal). Ces régions du cerveau sont responsables de la réponse au stress en activant l’axe hypothalamo -surrénalien et le système sympathique. Si le stress est particulièrement intense (traumatisme psychique) ou de longue durée, on assiste à une perturbation de la régulation du glutamate.
Les conséquences structurelles dans le cerveau peuvent aller jusqu’à l’atrophie de l’hippocampe et du cortex préfrontal associé à une hypertrophie de l’amygdale cérébrale. Ces modifications se manifestent par des troubles cognitifs telles que des déficits de la mémoire et de l’attention et également des troubles de l’humeur comprenant l’anxiété et la dépression.
Ces observations scientifiques permettent de relier les événements stressants de la vie avec des troubles psychiques telles que la dépression et l’anxiété.
Une étude européenne incluant plus de 20’000 personnes avait montré que le fait d’avoir subit quatre évènements stressants dans la vie augmentait de 3 fois le risque de dépression. Les événements les plus négatifs étant liés à la perte, la perte d’un être chère mais également perte du travail, qui est un déterminant fondamental de notre identité. Toutefois, on peut se demander pourquoi certains individus sont plus amènent d’avoir une dépression par rapport à un événement stressant de la vie.
Une explication peut être reliée à la construction de notre psyché au début de notre vie.
En effet, certains travaux montrent que les événements traumatisants lors de la période périnatale ou lors de la petite enfance jouent un rôle critique dans le développement ultérieur de troubles dépressifs. Une des explications biologique passe par l’altération à long terme de l’axe du stress hypothalamo –surrénalien, ce qui a été confirmé par des études sur des modèles animaux (11). Plus récemment des études animales et humaines ont montré qu’un stress durant la grossesse entraîne un état inflammatoire chez la mère pouvant créer des altérations de la neurogénèse, de la cognition et l’axe HPA du future enfant (12, 13, 14). Par la suite, les adultes qui ont subi un stress périnatal montrent une réponse inflammatoire exagérée aux stress de la vie entraînant une fragilité psychique plus importante.
Une nouvelle compréhension de la dépression : l’inflammation
Le neuropsychiatre Michael Maes a documenté scientifiquement la relation étroite entre la dépression et l’inflammation, par conséquent il a été un des premiers à mettre en relation un phénomène psychologique avec un phénomène biologique (10). Ces dernières années de nombreuses publications ont confirmé cette association intime entre la dépression et l’inflammation (15, 16,17). Ainsi, plusieurs études ont montré des niveaux augmentés des cytokines pro-inflammatoires (IL-6 et TNF-alpha) chez les patients déprimés par rapport aux sujets sains (18). Ce phénomène peut être expliqué par la capacité de ces cytokines inflammatoires pouvant activer une voie de dérivation du tryptophane cérébrale par l’enzyme indolamine 2,3-dioxygénase empêchant la formation de sérotonine et par conséquence favorisant la dépression.
Mais comment expliquer cette augmentation de l’inflammation à bas bruit dans notre société.
L’inflammation à bas bruit, un phénomène lié à notre société occidentale
De façon générale, on constate dans notre société occidentale la présence fréquente d’un syndrome inflammatoire à bas bruit sans cause apparente, alors que dans les pays ruraux moins développés, les paramètres inflammatoires sont moins importants. Une hypothèse scientifique serait du à la présence d’une plus grande biodiversité bactérienne favorisant une meilleure régulation immunitaire et moins de réaction inflammatoire lors d’un stress psychosocial (19, 20). Nous comprendrons ultérieurement l’importance d’une bonne flore intestinale et du rôle primordial de l’axe intestin-cerveau dans les troubles de l’humeur.
Dès lors dans les pays en voie de développement, on constate que lors d’un stress psychosocial, il y moins de relâchement des médiateurs de l’inflammation et par conséquence moins de troubles psychiatriques. Plusieurs études ont montré que vivre dans un environnement rural ou plus naturel avait un impact favorable permettant une meilleure résilience au stress et une fréquence moins importante de la dépression lors d’événement stressant identique (21, 22, 23).
Nos modes de vie entretiennent inflammation et troubles psychiques
De plus, sous un fond de crise économique anxiogène, se rajoute des modes de vie déséquilibrés perturbant autant notre santé psychique que physique (inflammation).
Ces facteurs déséquilibrants comprennent entre autre une réduction du temps de sommeil nocturne (en 50 ans nous sommes passé en moyenne de 8 heures de sommeil à 6h40), une sédentarité qui touche la moitié de la population adulte, une alimentation qui génère obésité et inflammation, ainsi que la consommation régulière de médicaments qui nous fragilisent et perturbent notre système immunitaire.
Pour ce dernier point, il intéressant de signaler certaines études montrant que les médicaments antidépresseurs auraient une action bi phasique. Sur une période brève de 5 à 8 semaines, ces médicaments permettent une diminution des messagers de l’inflammation (TNF alpha, IL 6). Toutefois après 3 mois de traitement on constate l’effet inverse avec augmentation de l’inflammation à bas bruit. Le risque serait que le traitement pharmacologique prolongé favorise la chronicisation de la dépression provoquant symptômes d’abstinence et inflammation (24).
L’approche intégrée
A la vue des faits décrit ci-dessus, il existe une nécessité de changer de façon radicale la prise en charge de la dépression. Il faut avoir une vision globale des facteurs perturbants et être capable de combiner des approches diverses pouvant comprendre des indications alimentaires, la prescription d’une activité physique, la gestion du stress, la psychothérapie et surtout le contrôle de l’inflammation a travers des thérapies non pharmacologiques (plantes, compléments alimentaires etc..). Lors de la 2ème partie de cet article, nous expliquerons plus clairement qu’elles sont les approches alternatives nous permettant de prendre en charge de façon globale la dépression.
Dr A. D’oro
Références :
- « Antidepressant use in persons aged 12 and over : United States, 2005-2008 » Pratt, Brody DJ, NCHS no 76, National Center for Health Statistics
- « The epidemic of mental illness. Why ? » The New York Review of Books, 2011 ; june 23
- « Antidepressants use has gone crazy : bad news from the CDC » FRANCES Allen, Psychiatric Times, 2011 October 28
- « Were we all asleep at the switch ? A personal reminiscence of psychiatry from 1940 to 2010 » Eisenberg L Acta Psychiatr Scand 2010, 122 :89-102
- « Developing Unbiased Diagnostic and treatment Guidelines in Psychiatry » Cosgrow L. New England Journal of Medecine, 2009 360 :2035-2036
- « A systemic review of comparative efficacy of treatments and controls for depression » PLoS One. 2012;7(7):e41778. doi: 10.1371/journal.pone.0041778. Epub 2012 Jul 30
- « Review : benefits of antidepressants over placebo limited except in very severe depression » Kirsh I. Evid Based Ment Health 2010 May ;13 :49
- « The neurobiology of depression and antidepressant action » Willner-Janusek , Neuroscience and Biobehavorial Reviews 2013
- « Genetic sensitivity to the environment :the case of serotonin transporter gene » Caspi et al American Journal of Psychiatry 2010 167 ;509-527
- « Depression and sickness behavior are Janus-faced responses to shared inflammatory pathways » Maes M. BMC Med 2012 Jun 29
- « Brain enlargment and increased behavorial and cytokine reactivity in infant monkeys following acute perinatal endotoxemia » Willette, Behav Brain Res 2011 ;219 :108-15
- « Early life stress mediated modulation of adult neurogenesis and behavior » Korosi, Behav Brain Res, 2012 :227 :400-9
- « Psychosocial stress increases inflammatory markers and alters cytokine production across pregnancy » Brain Behav Immun 2007 ;21 :343-50
- « Maternal immune activation alters fetal brain development through Il 6 » Smith SE J neurosc 2007 :27 ;1095
- « Elevated inflammation levels in depressed adults with history of childhood maltreatment » Danese A. Arch Gen Psychiatry 2008 65 :409-416
- « Depression and C-reactive proteine : population-based health 200 study » Elovaino M. Psychosomatic Medicine, published on line march 2009
- « The role of inflammatory cytokines in suicidal behavior, asystemic review » Serafini Eur Neuropsychopèharmacology july 2013
- « Stimulation of systemic low-grade inflammation by psychosocial stress » Rohleder N Psychosom Med 2014 Apr :76 : 181-9
- « Childhood microbial eperience, immunoregulation, inflammation and adult susceptibility to psychosocial stressors and depression in rich and poor contries » Rook, Evol Med Public Health 2012 ; 2013 14-7
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