Mitochondries et thyroïde : repenser l’hypothyroïdie à la lumière de l’énergie cellulaire

Depuis un demi-siècle, la médecine enseigne que la thyroïde régule le métabolisme et que la TSH, l’hormone de commande hypophysaire, en est le baromètre. Si la TSH est normale, tout va bien. Pourtant, dans les cabinets, la réalité contredit cette simplification : combien de patients, pourtant “équilibrés” sous lévothyroxine, continuent à se plaindre d’une fatigue profonde, d’une prise de poids inexpliquée, d’un ralentissement psychique ou d’une frilosité persistante ?
Si les hormones sont au rendez-vous mais que la vitalité ne suit pas, c’est que le problème ne se situe pas dans la glande, mais dans la cellule — dans la façon dont celle-ci transforme les signaux hormonaux en énergie vivante. Et au cœur de ce processus, trône un acteur longtemps négligé : la mitochondrie.
La mitochondrie, gardienne du rythme vital
Les mitochondries ne sont pas de simples “centrales électriques”. Ce sont des structures intelligentes, sensibles à l’environnement, capables de sentir le stress, de dialoguer avec le système immunitaire et de décider du rythme auquel la cellule doit fonctionner.
Quand tout va bien, elles brûlent les nutriments, produisent de l’ATP et soutiennent la croissance, la réparation, la pensée, le mouvement.
Mais quand elles perçoivent une menace — infection, hypoxie, toxiques, inflammation chronique, carence ou stress psychique — elles changent de programme. Elles ralentissent leur respiration, réduisent la production d’énergie, ferment partiellement les échanges avec l’extérieur et libèrent des signaux d’alerte (radicaux libres, ATP extracellulaire, cytokines).
C’est la fameuse Cell Danger Response décrite par Robert Naviaux : un mode défense métabolique, protecteur à court terme, mais délétère lorsqu’il devient chronique [1]. Dans cet état, le corps tout entier fonctionne à bas régime. L’énergie chute, la récupération se bloque, les hormones ne “passent” plus. Et la thyroïde, au lieu d’être la cause, devient la victime silencieuse de ce verrouillage énergétique.
Le dialogue intime entre thyroïde et mitochondrie
Les hormones thyroïdiennes, notamment la triiodothyronine (T3), sont de puissants activateurs du métabolisme : elles augmentent la consommation d’oxygène, stimulent la biogenèse mitochondriale, accélèrent la production d’ATP et de chaleur [2,3]. Mais le dialogue est réciproque. Une mitochondrie stressée ou oxydée freine la signalisation hormonale, comme si elle disait : “Pas maintenant, c’est dangereux d’accélérer.” Cette communication passe par les désiodinases, enzymes qui activent ou inactivent localement les hormones thyroïdiennes. La DIO2 convertit la T4 en T3, rendant l’hormone pleinement active dans le tissu ; la DIO3, au contraire, transforme T3 et T4 en formes inactives (rT3). En situation de stress, d’inflammation ou de carence, DIO2 s’éteint et DIO3 s’active : la cellule réduit volontairement la signalisation thyroïdienne.
Ainsi, le bilan sanguin peut rester “parfait”, alors que la T3 tissulaire s’effondre. Ce n’est pas une hypothyroïdie glandulaire ; c’est une hypothyroïdie cellulaire adaptative.
Le syndrome de la T3 basse : quand le corps freine pour survivre

Le syndrome de la T3 basse, ou non-thyroidal illness syndrome (NTIS), est l’exemple le plus clair de cette stratégie adaptative. Il se caractérise par une chute de la T3, une T4 normale ou légèrement abaissée, une TSH stable, et une augmentation de la rT3. On l’observe dans les infections graves, les chirurgies majeures, les traumatismes, les brûlures, la dénutrition [6,7]. Dans ces contextes aigus, le corps agit intelligemment : il baisse sa consommation d’énergie, limite la production de chaleur, ralentit la combustion interne. C’est un réflexe de survie orchestré par les mitochondries et le système nerveux central.
Mais cette même logique se retrouve dans des situations beaucoup plus banales : stress chronique, troubles du sommeil, exposition aux toxiques, inflammation de bas grade, carences nutritionnelles, déséquilibre glycémique, sédentarité, apnées du sommeil. La menace n’est plus une infection aiguë, mais une somme de micro-stress quotidiens. La cellule, trompée, reste sur ses gardes : elle garde la pédale de frein enfoncée, la DIO3 activée, et la T3 intratissulaire bloquée.
Le plus frappant est que la médecine clinique ignore souvent ce phénomène. Dans la majorité des consultations, on évalue la thyroïde à travers la TSH et, parfois, la T4 libre. Si ces valeurs sont “dans les clous”, le patient est déclaré équilibré. Pourtant, la T3 est l’hormone biologiquement active : c’est elle qui entre dans la cellule, se fixe sur les récepteurs nucléaires, active la transcription des gènes énergétiques. En se focalisant uniquement sur la TSH, on confond thermostat central et chaleur réelle.
Résultat : des milliers de patients se retrouvent “normalement fatigués”. Leur TSH est parfaite, mais leur vie ne l’est pas. Ils accumulent les symptômes d’hypométabolisme – ralentissement, brouillard mental, frilosité, cheveux qui tombent, humeur basse – sans solution durable.
La médecine allopathique ajuste la T4, la médecine fonctionnelle ajoute parfois de la T3, mais sans traiter le fond : un corps resté en alerte mitochondriale chronique. Cette cécité diagnostique tient au fait que l’on mesure des hormones, pas leur usage. Les cellules ne manquent pas d’hormones : elles les refusent. Tant que l’environnement cellulaire ne se sent pas sécurisé — tant qu’il perçoit une menace —, il transforme la T3 en rT3 et ferme les portes du métabolisme. Le syndrome de la T3 basse chronique devient alors le miroir biologique de notre mode de vie moderne : hyperstimulation, manque de repos, lumière artificielle, polluants, inflammation silencieuse. C’est le langage biologique d’un monde en tension permanente.
Ce que dit la science : deux études clés
Les preuves de ce dialogue entre thyroïde et mitochondrie ne sont plus théoriques.
Une étude indienne utilisant la spectroscopie RMN au phosphore (^31P-MRS) a montré que, chez des patients hypothyroïdiens, la récupération de la phosphocréatine musculaire après effort — marqueur direct de la respiration mitochondriale — était ralentie de 50 % [9]. Le déficit énergétique est donc visible, mesurable in vivo.
Une autre étude, menée à Rio de Janeiro, a démontré que chez des souris dépourvues de DIO2 musculaire (l’enzyme qui convertit T4 en T3 sur place), l’exercice ne déclenche plus la biogenèse mitochondriale : le facteur PGC-1α reste inactif, la respiration ne s’améliore pas [10]. Sans T3 locale, pas de mitochondries nouvelles. Ces deux travaux confirment une vérité clinique simple : le métabolisme ne dépend pas de la T3 sanguine, mais de la T3 intracellulaire, celle que la mitochondrie accepte de transformer en action.
Quand le traitement hormonal ne suffit plus : l’histoire de Nadia

Nadia a 42 ans. Elle prend de la lévothyroxine depuis quatre ans pour une thyroïdite de Hashimoto. Sa TSH est normale, sa T4 correcte, mais elle reste épuisée. Elle a froid, grossit sans excès, dort mal, se sent “comme ralentie”. Ses analyses sont irréprochables, mais son quotidien ne l’est pas. En la questionnant, on découvre une mosaïque de freins énergétiques : des nuits hachées, un coucher à 1 h du matin, des écrans jusque tard, des ronflements évocateurs d’apnées du sommeil, une ferritine basse, une alimentation pauvre en protéines et riche en produits industriels. Elle prend sa L-T4 avec le café, sous inhibiteur de pompe à protons.
Plutôt que d’augmenter les doses, on décide de restaurer le terrain : correction de la carence martiale, L-T4 prise à jeun (ou au coucher, loin du café), rééducation du sommeil, traitement des apnées, retour à une alimentation brute, plus précoce et plus riche en nutriments, marche quotidienne, respiration lente. Douze semaines plus tard, la même dose d’hormone suffit, mais cette fois-ci elle agit. Nadia dort mieux, son énergie revient, elle a perdu du poids sans effort. Ses mitochondries ont cessé de se protéger : elles retravaillent.
Soigner la thyroïde par la sécurité énergétique
Soigner la thyroïde, c’est restaurer un climat intérieur de sécurité. La substitution hormonale ne fonctionne pleinement que dans un corps qui se sent prêt à consommer l’énergie qu’on lui propose. Cette sécurité énergétique commence par la cohérence des rythmes. Le sommeil profond, la lumière naturelle du matin, la régularité des horaires et la respiration lente activent le système parasympathique et abaissent les signaux de stress. Les mitochondries, rassurées, relancent alors leur flux d’électrons.
L’alimentation “réelle” est un autre levier majeur. Les aliments ultra-transformés génèrent un bruit métabolique : surcharge glycémique, additifs, acides gras oxydés, inflammation de bas grade [12]. À l’inverse, une assiette brute, riche en végétaux colorés, en protéines et en bons lipides, apporte les cofacteurs essentiels de la respiration mitochondriale : fer, magnésium, zinc, cuivre, sélénium, coenzyme Q10, acides gras oméga-3, L-carnitine. Ces micronutriments agissent comme des catalyseurs : ils rendent à la mitochondrie sa souplesse et à la thyroïde sa voix.
Certaines supplémentations ciblées, validées biologiquement, peuvent être précieuses :
– le fer, indispensable à la thyroperoxydase ;
– le sélénium, qui soutient la conversion T4 → T3 et protège la glande du stress oxydant ;
– la coenzyme Q10 et le magnésium, piliers de la chaîne respiratoire ;
– l’acétyl-L-carnitine, utile en cas de fatigue musculaire ;
– les précurseurs du NAD⁺ (nicotinamide riboside ou NMN), pour restaurer la respiration cellulaire dans les mitochondries épuisées.

Au-delà de la nutrition, certaines stratégies physiques amplifient ce rétablissement énergétique.
Les saunas à infrarouge réchauffent en profondeur, activent la circulation, stimulent la sudation et la biogenèse mitochondriale via le facteur PGC-1α. Ils améliorent la variabilité cardiaque, réduisent le stress oxydant et soutiennent la fonction cardiovasculaire [18].
À l’inverse, les expositions brèves au froid — cryothérapie, immersion ou simple douche froide — activent la thermogenèse du tissu adipeux brun, densifient les mitochondries et accroissent la sensibilité aux hormones thyroïdiennes. Cette alternance chaud-froid, bien dosée, entretient la résilience métabolique : elle apprend au corps à s’adapter, à osciller, à redevenir vivant.
La photobiomodulation, ou thérapie par lumière rouge et proche infrarouge, ouvre une autre voie. En stimulant les cytochromes de la chaîne respiratoire, elle relance la production d’ATP et réduit les marqueurs inflammatoires. Ses effets documentés sur la récupération, la microcirculation et la vitalité cellulaire la placent désormais au carrefour de la médecine régénérative et de l’endocrinologie fonctionnelle [19].
Enfin, le mouvement régulier, à intensité modérée, reste l’un des plus puissants “médicaments mitochondriaux”. L’endurance douce, la marche rapide, le vélo, la natation améliorent la biogenèse mitochondriale, la sensibilité à l’insuline et la réponse tissulaire à la T3 [10]. Ainsi, la “guérison” thyroïdienne ne consiste plus à pousser le corps à produire davantage, mais à lui redonner envie de fonctionner. Quand la cellule retrouve de l’oxygène, du repos, de la chaleur et du mouvement, la T3 reprend naturellement sa place. La sécurité métabolique précède toujours la performance métabolique.
Vers une médecine de la cohérence énergétique
Repenser la thyroïde à la lumière des mitochondries, c’est reconnaître que la santé n’est pas un chiffre mais une relation. Tant que la cellule se sent menacée, elle freine ; quand elle se sent en sécurité, elle respire. Cette perspective oblige à quitter le réflexe de la correction et à adopter une médecine de la restauration. La fatigue chronique, les symptômes persistants malgré un “équilibre” hormonal, ne relèvent pas d’un déficit de volonté mais d’un état d’alerte cellulaire. La médecine du futur ne sera pas seulement hormonale ; elle sera énergétique. Elle prendra soin de la biologie lente : celle de la lumière, de la respiration, de la chaleur, du complément et du mouvement. Soigner la thyroïde, c’est soigner la mitochondrie. Et soigner la mitochondrie, c’est redonner confiance à la vie elle-même.
Dr. A. D’oro
Références
- Naviaux RK. Metabolic features of the Cell Danger Response. Mitochondrion. 2014;16:7–17.
- Weitzel JM, Iwen KA. Regulation of mitochondrial biogenesis by thyroid hormone. Exp Physiol. 2003;88:121–128.
- Sagliocchi S et al. Thyroid Hormone in Mitochondrial Regulation. Int J Mol Sci. 2024;25.
- Wrutniak-Cabello C et al. Direct mitochondrial T3 receptor p43. J Mol Endocrinol. 2001;26:67–77.
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- De Groot LJ. The Non-Thyroidal Illness Syndrome. Endotext. 2015.
- Peeters RP et al. Low T3 syndrome: pathophysiology and clinical relevance. Endocr Rev. 2019.
- Khushu S et al. Bio-energetic impairment in human calf muscle in thyroid disorders: a 31P-MRS study. Magn Reson Imaging. 2010;28:683–689.
- Bocco BMLC et al. Thyroid hormone activation by DIO2 mediates exercise-induced PGC-1α in skeletal muscle. J Physiol. 2016;594:5255–5269.
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- Huwiler VV et al. Selenium Supplementation in Hashimoto Thyroiditis. Thyroid. 2024;34:295–313.
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- Cappelli C et al. Liquid Levothyroxine Taken at Breakfast (TICO study). Thyroid. 2016;26:197–202.
- Laukkanen JA et al. Infrared sauna bathing: cardiovascular and metabolic effects and mechanisms. Ann Med. 2018;50:115–123.
- Hamblin MR. Photobiomodulation and mitochondria: new opportunities for metabolic health. Photochem Photobiol Sci. 2022;21:1495–1508.
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